Arrêt du Tribunal Fédéral du 30 avril 1997 („Michelangelo“)

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Nicht amtliche Leitsätze: Anwendung des aURG auf während des Arbeitsverhältnisses entwickelte Computerprogramme; Einbau einer Programmsperre durch einen Arbeitnehmer.

A.- S. exploite en raison individuelle une entreprise de gravure, décoration, sertissage, bijouterie et créations pour l’horlogerie. Par contrat de travail du 24 janvier 1985, il a engagé N. en qualité de «graveur au burin, pour travaux de préparation et exécution de sertissage, ainsi que divers travaux sur matériel informatique et machines à commande numérique». Le salaire mensuel de N. était fixé à 4000 fr. `
A la suite d’un entretien, S. a confirmé à N., par lettre du 19 décembre 1989, qu’il occuperait le poste de chef de la production dès le ler janvier 1990; cette fonction impliquait la responsabilité de la qualité de tous les produits sortant de l’atelier, le respect des délais de livraison à la clientèle, la planification de l’utilisation des machines et des installations, la répartition du travail, la surveillance de l’activité ainsi que l’instruction et la formation éventuelle du personnel. Le même courrier comportait en outre le passage suivant: «La conception éventuelle ou la mise au point de programmes ordinateurs destinés à favoriser la production, même réalisés en dehors de l’entreprise, appartiennent à cette dernière et sont incluses dans votre rémunération mensuelle. Vous me renseignerez sur l’existence de ces programmes et de leurs sources.» Le salaire de N. a été porté à 7200 fr. par mois dès le 1er janvier 1990. Il s’élevait à 119 500 fr. par an en 1992.
Pendant la durée des rapports de travail, N. a créé différents programmes d’ordinateur – programmes sources et programmes exécutables – permettant de faire fonctionner les machines à commande numérique qui produisent les pièces.
Par lettre du 19 février 1993, N. a résilié le contrat de travail pour le 31 mai 1993. En ce qui concerne les programmes d’ordinateur, il s’adressait ainsi à S. : «(…) je désire vous informer que les logiciels et les données que j’ai développés en dehors de mes heures et de ma propre initiative me suivront dans mon départ puisqu’ils m’appartiennent entièrement. Comme je suis conscient du bon usage que vous en faites encore aujourd’hui je vous prie de bien vouloir me faire savoir si vous désirez en faire l’acquisition. J’attend (sic) de vous à ce propos une réponse écrite jusqu’au 31 mars 1993. Passé cette date, je considérerai que ma proposition ne vous intéresse pas.» A réception de ce courrier, S. a libéré N. avec effet immédiat de son obligation de travailler pendant le délai de congé; il l’a invité par ailleurs à lui restituer «immédiatement tous programmes ordinateurs, sources, développements réalisés dans le cadre de [son] activité, ceux-ci étant propriété de l’entreprise».
Le 4 mars 1993, N. a remis quelques programmes exécutables à son employeur. Deux jours plus tard, R., administrateur d’une société effectuant des travaux informatiques pour l’entreprise S., s’est aperçu que certains terminaux ne pouvaient plus être mis en marche en raison de la présence d’un virus dénommé «Michelangelo» et d’un système d’autodestruction des programmes développés par N.
Saisi par S. d’une requête de mesures provisoires urgentes, le président du Tribunal civil du district de La Chaux-de-Fonds a, le 9 mars 1993, ordonné à N. de remettre immédiatement au requérant les disquettes contenant les sources pures des programmes informatiques de l’entreprise. Le lendemain, N. a déposé au greffe du tribunal une disquette accompagnée d’une notice explicative.

B.- Par demande du 12 août 1993, S. a ouvert action contre N. en paiement d’un montant de 169 202 fr.15 ou ce que justice connaîtra, avec intérêts à 5% dès le dépôt de la demande. Le demandeur reprochait au défendeur d’avoir violé ses obligations contractuelles en introduisant un virus informatique et un système d’autodestruction des données dans les programmes de l’entreprise, en refusant de restituer les programmes sources nécessaires à la production de l’entreprise et en instaurant un système de protection des programmes sans en informer son employeur. Ces agissements auraient conduit à la mise hors d’usage du système informatique et à la paralysie de la production, occasionnant ainsi un dommage de 69 202 fr.15; ils auraient également entraîné une perte du chiffre d’affaires de 396 000 fr., prétention limitée à 100 000 fr. par gain de paix.
Au cours de la procédure, une expertise informatique a été confiée à P. Il ressort en particulier du rapport d’expertise que la preuve de l’implication de N. dans l’introduction du virus «Michelangelo» n’est pas rapportée.
Sur proposition des parties, le juge instructeur a ordonné une procédure de jugement sur moyen séparé tiré de l’éventuelle violation de ses obligations par N. dans le cadre de son contrat de travail, respectivement de la commission d’un acte illicite. Par jugement sur moyen séparé du 23 juillet 1996, la Ie Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a rejeté la demande.

C.- S. interjette un recours en réforme, tendant à l’admission de l’action dans son principe et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision sur la prétention chiffrée du demandeur.
N. conclut, principalement, à l’irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet.
S. forme également un recours de droit public contre la même décision.

Considérant en droit:
1.-
[…]

2.- a) La cour cantonale s’est attachée à rechercher à qui «appartenaient» les programmes informatiques établis par le défendeur. Pour ce faire, elle s’est fondée sur l’art. 17 de la loi sur le droit d’auteur (LDA; RS 231.1), aux termes duquel l’employeur est seul autorisé à exercer les droits éxclusifs d’utilisation sur le logiciel créé par le travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles. Selon le jugement attaqué, le défendeur n’avait aucune obligation contractuelle de développer des programmes informatiques jusqu’au 31 décembre 1989. La cour cantonale a estimé en revanche que l’employeur pouvait faire valoir des droits sur les éventuels programmes créés par le travailleur dès 1990. Tout en soulignant que «faire le départ entre ce que le défendeur a créé ou développé durant ces deux périodes relèverait d’une difficulté insurmontable», les juges précédents ont constaté néanmoins que le travailleur avait vraisemblablement créé la plupart des programmes avant le ler janvier 1990. Ils en ont déduit que l’employeur ne disposait d’aucun droit sur les programmes en question et que le travailleur pouvait légitimement les munir d’un dispositif de protection et conserver les sources à la fin des rapports de travail, tant qu’il n’en avait pas obtenu la reprise par le demandeur. En prenant des mesures pour sauvegarder ses droits, le défendeur n’a commis, selon le jugement déféré, ni violation d’une obligation contractuelle, ni acte illicite.

b) Selon le demandeur, la cour cantonale a violé les art. 2 CC et 18 CO en interprétant le contrat du 24 janvier 1985 en ce sens qu’il ne comportait pas, dans sa teneur initiale avant la modification de décembre 1989, l’obligation, même implicite, du travailleur de développer des programmes informatiques. Se référant à l’art. 17 LDA et au principe de la confiance, le demandeur estime que cette obligation devait au contraire se déduire, dès l’origine, du fait que le travailleur était appelé à effectuer des «travaux sur matériel informatique» et à participer «aux travaux divers de recherche et développement des produits de l’entreprise». A son sens, la création de logiciels se trouvait dans un rapport logique avec la position occupée -à plein temps – par le défendeur dans l’entreprise. Le demandeur en conclut qu’il disposait de droits sur tous les programmes informatiques créés et mis au point par le travailleur. Ce dernier aurait dès lors violé ses obligations contractuelles de diligence, de fidélité et de restitution en instaurant un système d’autodestruction des programmes à l’insu de son employeur et en refusant de restituer les programmes sources. La cour cantonale aurait méconnu les art. 32la, 32lb et 32le CO en considérant que ces actes n’engageaient pas la responsabilité contractuelle du défendeur.

3.- a) Selon l’art. 321e al. 1 CO – qui reprend le principe général de l’art. 97 CO -, le travailleur répond du dommage qu’il cause à l’employeur intentionnellement ou par négligence. Comme toute responsabilité contractuelle, la responsabilité du travailleur suppose notamment la violation d’une obligation contractuelle. Il pourra s’agir par exemple d’un comportement ou d’une omission contraire au devoir de diligence et de fidélité, qui impose au travailleur d’exécuter avec soin le travail confié et de sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur (cf. art. 321a CO; Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., n. 4 ad art. 321e CO; Rehbinder, Berner Kommentar, n. 12 ad art. 321e CO; Schönenberqer/Staehelin, Zürcher Kommentar, n. 4 et n. 35 ad art. 321a CO, n. 3 ad art. 321e CO).

b) La cour cantonale est partie de l’idée que la titularité des droits sur les logiciels litigieux permettrait de déterminer si la responsabilité contractuelle du défendeur était engagée ou non. On peut s’interroger sur l’exactitude de ce postulat.

aa) L’obligation de fidélité à la charge du travailleur suppose en particulier qu’il s’abstienne de tout comportement qui est de nature à porter un préjudice économique à l’employeur (ATF 117 II 560 consid. 3a p. 561, 72 consid. 4a p. 74 et les références). A titre subsidiaire, le devoir de fidélité implique d’adopter, dans un cas particulier, toutes les mesures nécessaires au bon déroulement du travail, notamment pour prévenir la survenance d’un dommage ou pour que l’employeur puisse lui-même prendre toutes les dispositions utiles (Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire du contrat de travail, 2e éd., p. 24). Le devoir de fidélité n’est toutefois pas illimité; une restriction à cette obligation pourra résulter notamment des intérêts légitimes du travailleur, notamment financiers (cf. ATF 117 II 72 consid. 4a p. 74; Schönenberqer/Staehelin, op. cit., n. 8 ad art. 321a CO). La fonction du travailleur dans l’entreprise sera l’un des critères qui permettra d’apprécier s’il y a ou non violation de l’obligation de fidélité; plus sa position sera élevée, plus haut sera le degré de loyauté exigé (cf. ATF 104 II 28 consid. 1 p. 29; Streiff/von Kaenel, op. cit., n. 4 ad art. 321a CO, p. 66).

bb) Le défendeur a créé des programmes sources et des programmes exécutables (ou programmes machine). Le programme source se définit comme un programme d’ordinateur rédigé dans l’une des langues de programmation; il est lisible par l’homme de métier comme n’importe quel autre écrit. Le programme exécutable est le résultat de la transformation du programme source en instructions qui peuvent être exécutées par l’ordinateur; lorsqu’il est utilisé conformément à sa finalité, le programme exécutable n’est pas perçu par l’homme, mais exerce des effets directs sur la machine (sur ces définitions, Kamen Troller, Manuel du droit suisse des biens immatériels, 2e éd., tome I, p. 308-309).
Indépendamment de la question des droits sur les logiciels élaborés par le défendeur, ce dernier a, en tout cas, mis les programmes exécutables à disposition de l’entreprise puisqu’ils permettaient de faire fonctionner les machines à commande numérique produisant les pièces. Les programmes établis par le défendeur jouaient par conséquent un rôle très important dans la production de l’entreprise du demandeur. Dans sa lettre de démission, le travailleur s’est d’ailleurs déclaré «conscient du bon usage que [l’employeur faisait] encore aujourd’hui» de ces programmes.
Nonobstant, le défendeur n’a, ni avant sa démission, ni même à cette occasion, informé le demandeur que les programmes exécutables étaient protégés, c’est-à-dire munis d’un système d’autodestruction destiné à fonctionner à une date déterminée. Or, un tel système pouvait paralyser la production du jour au lendemain, que ce soit par sa mise en oeuvre ou même, comme cela a été le cas en l’occurrence, par sa découverte avant terme, qui faisait nécessairement naître des soupçons sur la fiabilité des programmes. En gardant secret le système d’autodestruction, le travailleur a empêché l’employeur de prendre assez tôt les mesures nécessaires pour éviter une situation dommageable pour lui.
Selon la cour cantonale, le défendeur était légitimé à protéger des programmes sur lesquels il disposait de tous les droits. Il est permis de concevoir quelques doutes à ce sujet. A part la satisfaction de mettre l’employeur dans l’embarras, il est difficile de discerner chez le travailleur un intérêt légitime à détruire des programmes exécutables destinés à faire fonctionner des machines de l’entreprise S. Le défendeur n’était du reste pas dépourvu de moyens d’action puisqu’il pouvait agir en justice pour faire reconnaître ses droits sur les programmes qu’il avait créés. A l’inverse, l’intérêt de l’employeur à pouvoir continuer à utiliser les logiciels ou, en tout cas, à ne pas voir sa production arrêtée d’un coup était indéniable.
Vu les intérêts en présence et le poste de chef de la production occupé par le défendeur, il n’est pas du tout exclu que l’attitude de ce dernier – soit le camouflage d’un système d’autodestruction des programmes – constitue une violation de son obligation de fidélité même s’il devait s’avérer en définitive que l’employeur n’avait aucun droit sur les logiciels en jeu. Les conclusions exposées au considérant 4 ci-dessous dispensent cependant la cour de céans d’examiner plus avant cette question.

4.- a) Pour déterminer la titularité des droits sur les logiciels litigieux, la cour cantonale a appliqué la LDA, entrée en vigueur le ler juillet 1993. Or, le défendeur a créé les programmes en question bien avant cette date, alors qu’il était lié au demandeur par un contrat de travail. Il se pose dès lors la question du droit applicable.
Les rapports de travail entre les parties se sont achevés avant le ler juillet 1993. Comme il s’agit d’examiner si l’employeur disposait ou non, à l’époque, de droits sur les logiciels créés par le travailleur, force est de conclure que seules les règles de l’ancien droit sont déterminantes, même si le résultat obtenu par application de la LDA n’est pas nécessairement différent en l’espèce (cf. art. 81 al. 1 LDA; Cherpillod, Le droit transitoire de la nouvelle loi sur le droit d’auteur, in RSPI/SMI 1994, p. 18-19; Fröhlich-Bleuler, Zum Übergang der Urheberrechte nach dem neuen Art. 17 URG, in RSJ/SJZ 90 (1994), p. 286).

b) aa) Contrairement à la LDA qui, à son art. 2 al., 3, considère les programmes d’ordinateur comme des oeuvres, l’aLDA ne mentionnait nulle part les logiciels. Un programme d’ordinateur constituait-il alors une oeuvre protégée par le droit d’auteur? Les auteurs les plus anciens avaient tendance à le nier alors qu’un courant plus récent se montrait favorable à une telle protection (cf. Roland von Büren, Der Werkbegriff, in Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, II/1, p. 115; Cherpillod, Protection des logiciels et des bases de données: la révision du droit d’auteur en Suisse, in RSPI/SMI 1993, p. 49; le même, Le droit d’auteur en Suisse, CEDIDAC 1986, p. 21 ss; Georg Rauber, Der urheberrechtliche Schutz von Computerprogrammen, thèse Zurich 1988, p. 145 ss). S’il a jugé qu’un programme d’ordinateur n’était pas brevetable (ATF 98 Ib 396 consid. 4), le Tribunal fédéral n’aura jamais eu l’occasion de prendre position sur la controverse existant sous l’empire de l’ancien droit. En revanche, plusieurs instances cantonales avaient accordé la protection du droit d’auteur aux logiciels (arrêt du 10 avril 1987 du Tribùnal cantonal du canton de Vaud, in RSPI/SMI 1990, p. 82; décision du 30 août 1988 du Tribunal cantonal du canton de Zoug, in RSPI/SMI 1989, p. 59; décision du 7 octobre 1988 du président I du Tribunal cantonal du demi-canton de Nidwald, in RSPI/SMI 1989, p. 205; ordonnance du 6 août 1986 de la Cour de justice du canton de Genève, in RSPI/SMI 1987, p. 217). A l’étranger, la tendance allait dans le même sens (Cherpillod, op. cit., in RSPI/SMI 1993, p. 49).
L’aLDA protège les oeuvres littéraires et artistiques (art. ler al. 1); les oeuvres scientifiques font partie des oeuvres littéraires (art. ler al. 2). Selon la jurisprudence, l’oeuvre protégée par l’aLDA se définit comme une forme concrète qui ne fait pas partie du domaine public, mais qui apparaît comme le résultat d’un travail intellectuel autonome ou comme l’expression d’une idée nouvelle et originale (ATF 113 II 306 consid. 3, II 190 consid. 2a et les arrêts cités). La forme concrète d’une oeuvre scientifique est susceptible d’être protégée en droit d’auteur. Hormis sa forme extérieure, une oeuvre scientifique peut posséder un caractère propre en raison de son plan, du choix et de la sélection des matières ou de leur agencement (ATF 113 II 306 consid. 3).
Comme le souligne Lutz, cette définition de l’oeuvre se rapproche de celle finalement retenue dans la nouvelle LDA (Les programmes d’ordinateur, in La nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur, CEDIDAC 1994, p. 179). Il n’est pas exclu qu’elle englobe les logiciels, dont le caractère original apparaît dans les éléments où le programmeur jouit d’une certaine liberté, en particulier dans l’ordonnancement et la structure du programme (cf. Cherpillod, La protection des programmes d’ordinateur par le droit d’auteur, in RSPI/SMI 1986, p. 48).
Au demeurant, même s’il ne peut se fonder en l’espèce directement sur le nouveau droit, le juge doit s’efforcer d’appliquer la loi d’une manière aussi conforme que possible à la situation et aux conceptions actuelles (consid. 5c non publié de l’ATF 122 II 324). Il pourra ainsi être conduit à abandonner une interprétation traditionnelle qui se justifiait dans le passé, mais qui n’est plus soutenable en raison du changement des circonstances ou même de l’évolution-des idées (ATF 105 Ib 49 consid. 5a p. 60). Or, en l’espèce, la tendance actuelle, consacrée dans le nouveau droit, est d’assurer la protection du droit d’auteur également aux logiciels (cf. Message concernant la loi sur le droit d’auteur du 19 juin 1989, in FF 1989 III, p. 488). Il convient dès lors d’interpréter l’aLDA en ce sens qu’un programme d’ordinateur est assimilé à une oeuvre, pour autant qu’il soit original (ou individuel), c’est-à-dire que sa structure et la suite des instructions ne soient pas reprises de logiciels existants et qu’elles ne soient pas le simple résultat d’un travail de routine (cf. Cherpillod, op. cit., in RSPI/SMI 1993,p. 51).

bb) L’ancien droit ne connaissait pas de disposition attribuant des droits à l’employeur sur l’oeuvre créée par le travailleur dans le cadre de rapports de travail. L’art. 332 al. 1 CO, concernant les inventions faites par le travailleur, ne pouvait pas s’appliquer, même par analogie, aux oeuvres établies dans un tel contexte (ATF 74 II 106 consid. 4a p. 113 ss qui concernait l’art. 343 aCO, 100 II 167 consid. 3a; Bernhard Recher, Der Arbeitnehmer als Urheber und das Recht des Arbeitgebers am urheberrechtsschutzfähigen Arbeitsergebnis, thèse Zurich 1975, p. 248; cf. également Cherpillod, Titularité et transfert des droits, in La nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur, CEDIDAC 1994, p. 105, à propos des oeuvres – sauf les logiciels – d’auteurs employés sous le nouveau droit). Les droits d’auteur sur les logiciels appartenaient par conséquent au travailleur qui pouvait les céder à l’employeur conformément à l’art. 9 aLDA (cf. ATF 100 II 167 consid. 3a; von Büren, op. cit., p. 152; Dessemontet, La protection des programmes d’ordinateur, in Les logiciels et le droit, CEDIDAC 1986, p. 23). La cession pouvait intervenir par une convention expresse ou par actes concluants; le Tribunal fédéral a ainsi admis une cession tacite dans le cas de l’auteur qui a apposé son visa sous une inscription attribuant la «propriété» de l’oeuvre à l’entreprise (ATF 100 II 167 consid. 3a).
A défaut d’une convention ad hoc ou d’une clause expresse dans le contrat de travail, celui-ci s’interprète à la lumière du principe de la confiance et des règles applicables en matière de transfert des droits d’auteur, singulièrement de la théorie de la finalité (Zweckübertragungstheorie) (Cherpillod, op. cit., CEDIDAC 1986, p. 81; Recher, op. cit., p. 252). Dans cette perspective, il convient de se demander, en règle générale, si le logiciel en question doit être qualifié d’oeuvre de service, c’est-à-dire si le travailleur l’a créé dans l’exercice de son activité et conformément à ses obligations contractuelles (Cherpillod, op. cit., CEDIDAC 1986, p. 81; Recher, op. cit., p. 224). Savoir si et dans quelle mesure une cession tacite est intervenue dépend ensuite de la nature des rapports de travail et du but visé par les parties au contrat de travail (Cherpillod, op. cit., CEDIDAC 1986, p. 81-82); à cet égard, le but de l’entreprise constitue l’ultime limite à l’acquisition de droits par l’employeur (Recher, op. cit., p. 265).

c) En l’espèce, il n’existe aucune convention séparée par laquelle le défendeur aurait cédé au demandeur des droits sur les programmes qu’il avait créés. Quant au contrat de travail du 24 janvier 1985, il ne comporte pas de clause expresse de cession. En revanche, la lettre du 19 décembre 1989 confirmant la nomination du défendeur en qualité de chef de la production, contient une disposition relative aux droits de l’employeur sur les programmes d’ordinateur conçus et mis au point par le travailleur.
Selon le jugement attaqué, le demandeur ne peut faire valoir des droits que sur les programmes créés à partir de 1990. Or, poursuit la cour cantonale, le défendeur a vraisemblablement créé la plupart des programmes avant le 31 décembre 1989. On peut se demander si, en limitant le degré de preuve requis à la vraisemblance, les juges précédents n’ont pas méconnu l’art. 8 CC. La question peut toutefois rester ouverte, car le moment de la création des programmes n’apparaît pas déterminant en l’espèce pour les raisons suivantes.
La lettre du 19 décembre 1989 confirmait les termes d’un entretien qui avait eu lieu entre les parties quelques jours auparavant. Il ne ressort pas des faits relatés dans le jugement déféré que ce courrier aurait fait l’objet d’une contestation de la part du travailleur. Il faut admettre par conséquent que le contenu de la lettre précitée correspond à l’accord des parties.
Ce dernier portait notamment sur les droits que l’employeur se réservait sur les programmes conçus ou mis au point par le travailleur et destinés à favoriser la production de l’entreprise. Selon le principe de la confiance, l’acceptation de cette «revendication» par le défendeur ne peut se comprendre que comme une cession tacite de droits sur les programmes ainsi désignés, sans qu’il soit nécessaire en l’espèce de qualifier plus précisément les droits en question. Le fait que le défendeur a créé les logiciels en dehors des heures de travail ne fait pas obstacle à cette interprétation puisque la lettre du 19 décembre 1989 mentionnait également les programmes réalisés «en dehors de l’entreprise». Au demeurant, appelé à se prononcer sur la titularité des droits sur une invention au sens de l’art. 343 aCO (cf. art. 332 al. 1 CO), le Tribunal fédéral a déjà jugé qu’il importait peu que le travailleur ait réalisé l’invention durant ses loisirs, s’il existait un rapport de connexité étroit entre l’activité contractuelle et l’invention (ATF 72 II 270 consid. 4 p. 273; arrêt du 9 novembre 1983 dans la cause C.250/1983 consid. 3, reproduit in RSPI/SMI 1984, p. 259).
Cela étant, il reste à examiner si la cession porte sur tous les programmes réalisés par le défendeur ou uniquement sur ceux créés après le 31 décembre 1989. Les termes mêmes de la lettre du 19 décembre 1989 ne permettent pas de donner une réponse certaine à cette question. D’un côté, l’expression «conception éventuelle» laisse supposer qu’il s’agit de programmes qui n’existent pas encore. De l’autre côté, les droits revendiqués par l’employeur concernent également la «mise au point» de logiciels, ce qui suppose des programmes déjà créés. Quant à l’utilisation du futur dans la phrase «Vous me renseignerez sur l’existence de ces programmes et de leur source», elle n’autorise à trancher ni dans un sens, ni dans l’autre. Il convient dès lors de procéder par voie d’interprétation.
A cet égard, il faut partir du but de la modification contractuelle de décembre 1989, qui était non seulement de promouvoir le défendeur à la fonction de chef de la production assortie d’une augmentation de salaire substantielle, mais également d’assurer à l’employeur des droits sur les programmes informatiques permettant d’améliorer la production des pièces de l’entreprise. Or, il apparaît conforme à cet objectif que la cession englobe les logiciels déjà établis à cette fin par le défendeur. On ne saisit en effet pas très bien pourquoi l’employeur n’aurait cherché à disposer de droits que sur une partie des programmes dont l’importance pour l’entreprise était évidente. Le défendeur ne pouvait pas, de bonne foi, attribuer un tel sens au passage litigieux de la lettre du 19 décembre 1989. En outre, il résulte des constatations cantonales que même si l’écriture des logiciels est intervenue avant la promotion du défendeur, leur mise au point s’est prolongée ultérieurement. Or, la lettre du 19 décembre 1989 fait état de programmes non seulement conçus, mais également mis au point par le défendeur, ce qui confirme que la cession tacite ne pouvait concerner que l’ensemble des programmes créés, puis développés par le travailleur.
Il s’ensuit que, contrairement à l’avis de la cour cantonale, le demandeur disposait de droits sur tous les logiciels développés par le défendeur.

d) Dans ces conditions, il ne fait aucun doute que l’introduction, à l’insu de l’employeur, d’un système d’autodestruction des programmes constitue une violation du devoir de fidélité du travailleur.
De même, le défendeur a violé ses obligations contractuelles en refusant, dans un premier temps, de restituer les codes sources (cf. art. 321b al. 2 CO). Au surplus, l’état de fait cantonal ne permet pas de savoir si la disquette remise au demandeur, après intervention du juge, contenait toutes les sources et autres utilitaires nécessaires à l’adaptation future des programmes. Si tel ne devait pas être le cas, il y aurait là une violation supplémentaire de ses obligations contractuelles de la part du défendeur. La question pourra, si nécessaire, être tranchée par la cour cantonale à qui le dossier doit être renvoyé de toute manière.
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