Décision de la Cour de Cassation Civile de Neuchâtel du 24 septembre 1998 / CCC.1998.7487

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Amtliche Leitsätze: Titre: Contrat de travail portant notamment sur le développement, par le travailleur, d’un programme informatique qu’il a conçu avant son engagement. Vente du programme par l’employeur. Refus du travailleur de remettre à l’employeur le code d’accès au logiciel. Mesures provisoires.
Résumé: Indépendamment de la titularité du droit d’auteur sur le logiciel développé par un travailleur, celui-ci est tenu, pour le moins, de fournir à son employeur le code d’accès au logiciel, lorsque celui-ci a été installé chez des tiers pendant la durée des rapports de travail.

A. La recourante a engagé l’intimé par contrat du 1er novembre 1995, en qualité de responsable du secteur de l’arc jurassien et chef de projets et support technique, responsable des activités de laboratoire d’analyses. Le contrat précise que l’intimé serait chargé des travaux suivants : „Développement d’applications, installation de divers logiciels, gestion complète de dossiers clients et tous autres travaux éventuels imposés par les circonstances“. La rémunération convenue était de 8’500 francs auxquels s’ajoutaient la mise à disposition d’un véhicule, aux frais de la recourante. Sous la rubrique „Non-concurrence“ le contrat prévoyait : „En accord avec le Code des obligations et après la fin du contrat de travail, l’employé s’engage à ne pas fournir pour son compte personnel, ni pour le compte d’autrui, à titre lucratif ou gratuit, des prestations chez les clients de S. SA. De même qu’il s’engage à ne garder en sa possession aucun des logiciels développés par la société. Ces points s’étendent aux territoires sur lesquels l’employeur déploie son activité et ce pour une période de trois ans dès la fin du contrat“.
Un avenant au contrat de travail a été conclu le 1er décembre 1995. Il disposait en particulier : „V. s’engage à ne pas développer de manière directe ou indirecte en Magic des produits correspondant aux produits de S. SA pendant une période de 3 ans, dès la fin des rapports de travail“.
L’intimé a élaboré un logiciel, intitulé L. avant d’entrer au service de la recourante. Le dossier ne révèle pas quel degré de développement ce programme avait atteint. Il ressort toutefois de deux courriers émanant des laboratoires B. d’une part, de la société I. SA d’autre part, que le programme L. était commercialisable dès avant l’entrée en fonction de l’intimé auprès de la recourante. Les feuilles d’activité du recourant (annexes 9 et 11 à la requête de mesures provisoires urgentes du 3.3.1998) révèlent cependant que l’intimé a déployé une activité considérable pour améliorer ce logiciel.
Selon l’intimé (requête en révocation de mesures provisoires urgentes, p.2 no.9), il avait été convenu oralement qu’il apportait son logiciel L. ainsi que ses clients, et qu’en cas de fin des rapports de travail, V. repartirait avec son logiciel L.
Le 31 décembre 1997, l’intimé a déclaré résilier le contrat de travail qui le liait à la recourante pour la fin du mois de février 1998.
Ayant conclu un contrat relatif à la livraison et à l’installation du logiciel L. avec l’Hôpital X. en automne 1997, la recourante a sommé l’intimé de lui livrer le code d’accès (super right key), soit la clé donnant un accès total aux sources de l’application, par courrier du 26 janvier 1998.
L’intimé s’y est refusé. Une nouvelle mise en demeure est intervenue le 26 février 1998, sans succès.
B. Par requête de mesures provisoires urgentes, la recourante a saisi le Tribunal civil du district de La Chaux-de-Fonds. Elle concluait notamment à ce que l’intimé soit astreint à fournir les codes informatiques d’accès au logiciel L., sous la menace des peines d’arrêts ou d’amende et réservait le droit d’opposition de l’intimé.
C. Le président du Tribunal du district de La Chaux-de-Fonds fit droit aux conclusions de la requête, le 4 mars 1998.
D. Le 11 mars 1998, l’intimé a saisi le président du Tribunal civil du district de La Chaux-de-Fonds d’une requête en révocation de mesures provisoires urgentes, ainsi que d’une opposition à l’ordonnance du 4 mars 1998.
E. Par décision du 8 juin 1998, le Tribunal civil du district de La Chaux-de-Fonds a révoqué les mesures provisoires urgentes ordonnées à l’encontre de l’intimé par ordonnance du 4 mars 1998. Il a considéré en substance qu’il ne faisait pas de doute que le logiciel L. était la propriété exclusive de l’intimé, qui en était l’auteur au sens de l’article 6 LDA, que ce logiciel avait été divulgué par l’intimé en 1989 et 1990 et que dès lors l’intimé possédait des droits qui méritaient protection.
F. S. SA recourt contre cette décision. Elle invoque une fausse application du droit matériel et l’arbitraire dans la constatation des faits, ainsi qu’un défaut de motivation. En bref, elle allègue que lors de l’engagement de l’intimé, le logiciel L. était à l’état de prototype, que l’intimé a consacré plus de 880 heures de travail à la réalisation de ce logiciel, qu’en application de l’article 17 LDA la recourante est seule autorisée à exercer les droits exclusifs d’utilisation sur le logiciel, et que c’est à tort que le juge s’est fondé sur des témoignages et des pièces non crédibles pour admettre que l’intimé était resté titulaire des droits d’auteur attachés au logiciel L.. Ses arguments seront repris plus bas dans la mesure utile. La recourante conclut à l’annulation de la décision entreprise et à la confirmation de l’ordonnance du 4 mars 1998, avec suite de frais et dépens.
G. L’autorité de jugement ne formule pas d’observations et conclut au rejet du recours. L’intimé conclut au rejet du recours, très subsidiairement à la cassation avec renvoi au premier juge pour nouvelle décision, avec suite de frais et dépens.

C O N S I D E R A N T

1. (…)

2. La titularité du droit d’auteur sur le logiciel développé par l’intimé est contestée. En revanche il est constant que, lors de son engagement, l’intimé avait „apporté“, pour reprendre l’expression de son mandataire, le logicie lL., à son stade d’évolution de l’époque, et qu’il a passé des centaines d’heures à le développer. Sans qu’on sache au juste en quoi consistent ces mises à jour, celles-ci ont été exécutées dans l’exercice de son activité au service de son employeur. On ignore ainsi si les améliorations apportées au logiciel L. peuvent être considérées comme des parties d’oeuvre au sens de l’article 2 al.4 LDA. Si tel était le cas, il conviendrait sans doute de considérer que l’article 17 LDA leur est applicable. En effet, selon D. Barrelet/W. Egloff, Le nouveau droit d’auteur, commentaire de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins, Berne 1994, p.88 no 5 : „Si un logiciel est commencé pendant que le travailleur était au service de l’employeur, mais qu’il est terminé seulement après la fin du rapport de travail, l’article 17 ne s’applique qu’aux parties et au projet qui existait à la fin de ce rapport, pour autant qu’il donne lieu à des droits d’auteur“. L’inverse paraît également vrai, prima facie (cf. également M. J. Lutz, Les programmes de l’ordinateur, in La nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur, Cedidac no 26, Lausanne 1994, p.181).
La question peut toutefois rester indécise. Il est certain en effet que, pendant la durée du contrat de travail à tout le moins, la recourante était en droit de prendre connaissance des codes d’accès au programme développé par l’intimé, qu’elle rémunérait notamment pour développer des logiciels. Le fait que le contrat de travail liant les parties soit arrivé à échéance à la fin du mois de février 1998 n’y change rien. Suivre la position de l’intimé aurait pour conséquence que l’Hôpital X. ne pourrait disposer de l’installation qu’il a commandée, puisque l’intimé avait pris l’engagement de ne pas fournir pour son compte personnel ni pour le compte d’autrui des prestations chez des clients de la recourante après la fin des rapports de travail. Cela signifierait que la recourante aurait rémunéré l’intimé pendant plus de deux ans pour développer le logiciel L., en pure perte.

3. (…)

4. (…)

5. L’intimé relève également que l’ordonnance du 4 mars 1998 ne fixait pas à la recourante un délai pour ouvrir action au fond, et qu’elle a été indûment dispensée de fournir des sûretés. Il observe aussi que, par la remise du mot de passe, la recourante pouvait librement disposer du logiciel litigieux sans avoir à engager un quelconque procès au fond. Cette observation pose le problème du contenu admissible d’une mesure provisoire. A lire l’article 65 LDA, il semblerait que les conclusions prises par la recourante ne seraient pas admissibles, puisqu’elles sortent du spectre des possibilités offertes par cette disposition. Cependant, la recourante n’exerce pas à proprement parler une prétention fondée sur la protection du droit d’auteur. Elle exige simplement l’exécution du contrat qu’elle a conclu avec l’intimé, de sorte que la question doit être examinée plutôt à la lumière du droit commun. Or sur ce point, les opinions sont éminemment partagées. I. Meyer (Grundlagen des einstweiligen Rechtschutzes, Zurich 1983, p.31, 150 Iss, 154ss, 291, 292) relève la grande diversité des systèmes cantonaux quant à la possibilité de faire exécuter par provision la prestation même qui fait ou pourrait faire l’objet de la procédure au fond, voire qui rendrait celle-ci inutile. Le Code de procédure civile neuchâtelois ne prohibe pas les mesures provisoires dont le contenu serait identique à celui d’une éventuelle procédure au fond, puisque l’article 122 litt.e permet au juge d’ordonner l’exécution provisoire d’une obligation de faire ou de ne pas faire. Il est vrai que certains auteurs considèrent que même dans cette hypothèse il y a lieu de ne pas prononcer une mesure dont l’effet serait irréversible, ce qui semblerait être le cas à première vue si l’intimé devait divulguer à la recourante le code d’accès au logiciel L., sans restriction (cf. Meyer, op.cit. p.158 à la hauteur de la note 45 et les références, 300). Cet auteur relève cependant, p.300, qu’il faut tenir également compte du risque que le maintien de l’état de fait existant cause un préjudice irréparable au requérant (dans le même sens V. Pellet, Mesures provisionnelles : droit fédéral ou droit cantonal, Lausanne 1987, p.110). Lors de l’introduction de la requête de mesures provisoires urgentes à tout le moins, cette condition était remplie. Au demeurant, il est possible de tenir compte des circonstances particulières de l’espèce pour limiter la portée de l’injonction donnée à l’intimé, ce qui reviendrait à octroyer à la recourante non pas autre chose, mais moins que ce qu’elle réclame. Ainsi, il pourrait être tenu compte de l’intérêt respectif des parties en ordonnant à l’intimé de fournir le code d’accès au logiciel L., mais en astreignant la recourante à ne faire usage de ce code que dans les limites des contrats qu’elle avait déjà souscrits lorsque l’intimé était à son service. Pour le surplus, la recourante pourrait être renvoyée à faire valoir en justice ses droits prétendus à une utilisation (plus étendue le cas échéant) du logiciel litigieux. A l’inverse, s’il devait se révéler que la recourante ne s’est pas limitée à l’utilisation du logiciel ordonnée, l’intimé conserverait la possibilité d’agir en vue d’obtenir la protection du droit dont il se prétend titulaire, ainsi qu’en dommages et intérêts. Une injonction ainsi limitée n’entrerait pas en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle les mesures qui équivalent à une exécution anticipée du jugement à intervenir au fond doivent rester exceptionnelles (RJN 1996, p.65, 1985, p.50 et les références).

6. Le recours se révèle ainsi partiellement bien fondé. La cause sera renvoyée au Tribunal civil du district de La Chaux-de-Fonds, qui s’assurera notamment que la requérante a toujours intérêt à obtenir la protection provisoire qu’elle sollicite et, le cas échéant, examinera s’il y a lieu de l’astreindre à fournir des sûretés et lui fixera un délai pour agir au fond.

CCC.1998.7487
Quelle: http://jurisprudence.ne.ch
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