Ordonnance de la Cour de Justice du 23 novembre 2012 / C/14818/2012 ACJC/1721/2012

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Nicht amtliche Leitsätze: Voraussetzungen für Anordnung vorsorglicher Massnahmen (E. 3.2). Urheberrechtlicher Schutz vom Computerprogrammen (E. 4.1). Miturheberschaft an einem Computerprogramm (E. 4.2). Fehlende Glaubhaftmachung der Übernahme des streitgegenständlichen Computerprogramms (E. 4.4). Keine Anwendung von Art. 6 UWG, wenn der Gesellschafter einer einfachen Gesellschaft mit Einverständnis des zweiten Gesellschafters Kenntnis vom Sourcecode erhält (E. 5).

EN FAIT

A. a. A______ SARL est une société de droit suisse, inscrite au Registre du cmmerce de Genève le ______ 2010. Elle a pour but le consulting en gestion et communication; l’étude, la réalisation et la commercialisation de logiciels; l’établissement de programmes de gestion et de communication, de leur conception à leur réalisation technique et leur mise en oeuvre; toutes activités d’édition, de coédition, de publication, de confection, de diffusion, d’impression et de commerce de livres, journaux, revues et périodiques; toutes activités dans les domaines de la vente et de la publicité. C______ est associé-gérant de la société et dispose de la signature individuelle (pièce 1 requérante).

b. C______ et B______ se connaissent depuis 1988. A cette époque, C______ travaillait comme dessinateur en génie civil et B______ suivait un apprentissage dans la même entreprise.

En 2006, C______ et B______ ont renoué contact, en vue du développement de divers projets.

c. En 2009/2010, B______ a développé, de manière indépendante, plusieurs codes source et logiciels pour le travail d’édition (…).

d. Lors de la création de la société A______ SARL, C______ et B______ collaboraient sur le développement d’un logiciel.

Aucun contrat de travail n’a été conclu entre respectivement A______ SARL ou C______ et B______ (…).

Selon C______, les termes de leurs relations juridiques, qui devaient être définis, ne l’ont finalement pas été. B______ estime pour sa part qu’il était associé dans la société, raison pour laquelle il n’avait pas perçu de salaire (…).

e. Fin 2010/début 2011, le code-source et l’ensemble des applications nécessaires au fonctionnement d’un nouveau logiciel ont été créés. Grâce à ce logiciel, nommé „A______ publisher“, l’application Apple Ipad et Iphone „D______“ a été publiée. „D______“ permet d’éditer un magazine dans le domaine de l’horlogerie.

Selon A______ SARL, le code-source et le logiciel ont vu le jour grâce à l’engagement de plusieurs collaborateurs, soit un développeur du code-source, un développeur de logiciel et un informaticien indépendant. B______ n’avait travaillé ni sur le code-source, ni sur le logiciel, se contentant de proposer des idées portant sur le marketing.

B______ le conteste, le code-source ayant été créé par l’utilisation de plusieurs codes source qu’il avait lui-même développés par le passé (…).

f. En février 2012, A______ SARL a licencié son personnel.

Elle a allégué des difficultés financières.

g. Le 23 février 2012, les relations entre B______ et A______ SARL ont pris fin.

h. Par courrier du 23 mars 2012, B______ indiquait à A______ SARL qu’il continuerait de développer ses projets de manière indépendante, „notamment ceux liés au programme informatique“ ayant permis la création des applications Iphone „D______“. Ce programme était en cours de développement, et il se réservait le droit de le finaliser et de le „commercialiser librement à son profit exclusif“. Il a précisé qu’il avait intégralement conceptualisé ces projets. Dans l’hypothèse où A______ SARL entendait faire valoir un droit exclusif sur ces projets, une équitable rémunération lui serait due (…).

i. Le 1er juin 2012, le conseil d’A______ SARL a mis en demeure B______ de lui restituer tous les biens de propriété intellectuelle dont elle est titulaire, en particulier le code-source de tous les logiciels, applications serveur et sites internet développés pour le compte de la société.

j. Par requête déposée le 18 juillet 2012 au greffe de la Cour de justice, A______ SARL a sollicité le prononcé de mesures provisionnelles. Elle conclut à ce que la Cour : constate la vraisemblance de la titularité des droits de la société A______ SARL sur le logiciel A______ publisher, constate la vraisemblance de la violation des droits d’auteur de la société A______ SARL et l’urgence de la situation, constate le comportement déloyal de B______ et, cela fait, à ce que la Cour ordonne à B______ de cesser toute commercialisation ou toute autre utilisation du logiciel à des tiers, sous la menace des peines prévues à l’art. 292 CP et ordonne à B______ la mise sous main de justice de l’ensemble du code-source et de tous les autres éléments liés, notamment les fichiers finaux ou éditables, sous la menace des peines prévues à l’art. 292 CP, avec suite de frais et dépens.

Elle fait valoir que B______ ne peut pas se prévaloir de la titularité exclusive du logiciel „A______ publisher“. Celui-ci avait commercialisé une application pour F______, grâce à ce logiciel. Ses droits d’auteur étaient ainsi atteints. L’attitude de B______ était propre à nuire à la société, tant sur le plan commercial que s’agissant de sa réputation, engendrant un préjudice difficilement réparable. Une protection immédiate de ses droits était ainsi indispensable.

A______ SARL se prévaut tant des dispositions de la Loi sur les droits d’auteur (ci-après : LDA) que de celles prévues dans la Loi sur la concurrence déloyale (ci-après : LCD).

k. Dans sa réponse du 22 août 2012, B______ conclut à l’irrecevabilité des conclusions constatatoires d’A______ SARL et au déboutement de celle-ci de l’ensemble de ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

Il indique qu’A______ SARL n’a pas décrit le logiciel sur lequel porte la prétention invoquée, ni ses caractéristiques. Elle ne démontrait ainsi pas être titulaire des droits liés au logiciel „A______ publisher“. Son comportement ne pouvait être considéré comme déloyal. Par ailleurs, elle n’avait pas rendu vraisemblable, d’une part, qu’il entendait commercialiser un logiciel, et, d’autre part, que ce logiciel serait identique à celui dont A______ SARL se prévaut être titularité des droits. En outre, la situation ne revêtait aucune urgence, dès lors qu’A______ SARL ne faisait pas valoir avoir commercialisé le logiciel ou vouloir le faire. Enfin, l’existence d’un préjudice difficilement réparable n’était pas démontrée.

l. A l’audience d’interrogatoire des parties du 30 août 2012, A______ SARL a estimé le préjudice subi à 100’000 fr. Elle a indiqué que la valeur d’un code-source était difficilement estimable.

La Cour a, statuant d’entente entre les parties, donné acte à B______ de son engagement à ne pas utiliser le logiciel „A______ publisher“ pour une durée de 60 jours (sans reconnaissance quelconque des faits allégués par A______ SARL), sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, chacune des parties conservant ses propres dépens.

[…].

m. […]

n. […]

o. […]

B______ a déclaré que dans le cadre de son activité au sein d’A______ SARL, il avait eu accès à l’ensemble du code-source et des autres éléments liés au logiciel, lesquels se trouvaient dans son ordinateur. Le logiciel n’était pas terminé lorsqu’il avait quitté la société en raison des nombreuses erreurs présentes dans le codesource. Il ne pouvait dès lors pas être commercialisé. Il était parti en emportant son ordinateur portable. Il estimait être à tout le moins titulaire de la moitié des droits sur le logiciel et notamment du code-source.

B______ a précisé que depuis plusieurs années, il avait développé plusieurs codes sources, lesquels avaient été utilisés par les collaborateurs d’A______ SARL pour créer le code-source litigieux. E______ avait fait de la programmation du logiciel développé par A______ SARL.

70% à 80% de codes sources similaires, disponibles librement dans internet, étaient utilisés pour créer un nouveau code-source. Celui-ci était écrit en connectant les autres codes sources et faisait l’objet d’un peu de programmation.

En mars 2012, il avait offert ses services à F______ mais n’avait pas fourni le logiciel développé par A______ SARL. Il avait développé un nouveau logiciel, inspiré de celui-là.

A______ SARL a expliqué que le code-source était identique dans les logiciels dénommés „A______ publisher“ et „FinalApp“. B______ ne pouvait pas avoir créé un nouveau logiciel entre son départ de la société en février 2012 et son offre faite en mars 2012 à F______. En effet, le développement d’un logiciel prenait entre 6 à 8 mois.

Elle a précisé que B______ n’avait effectué aucune programmation sur le codesource et le logiciel litigieux; il avait effectué le travail en relation avec les concepts du logiciel.

[…]

EN DROIT

[…]

3.2 L’octroi de mesures provisionnelles est soumis aux quatre conditions cumulatives suivantes : une prétention au fond, une atteinte ou le risque d’une atteinte à celle-ci, le risque d’un préjudice irréparable, et l’absence de sûretés appropriées.

En premier lieu, le requérant doit rendre vraisemblable qu’il est titulaire d’une prétention au fond. En outre, il faut que le requérant soit atteint ou menacé dans ses droits. Le juge doit donc évaluer les chances de succès de la demande au fond pour déterminer, si le requérant a rendu vraisemblable la possibilité d’une issue favorable de l’action (ATF 108 II 69 consid. 2, Arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2008; HOHL, op. cit., § 29, ch. 1755 et 1756; TROLLER, Précis du droit suisse des biens immatériels, 2006, p. 420).

S’agissant de l’atteinte ou du risque d’une atteinte à une prétention, toute mesure provisionnelle implique qu’il y ait une urgence. Le requérant doit rendre vraisemblable la nécessité d’une protection immédiate en raison d’un danger imminent menaçant ses droits, soit parce qu’ils risquent de ne plus pouvoir être consacrés, ou seulement tardivement. Le risque du préjudice difficilement réparable implique l’urgence (Arrêt du Tribunal fédéral 4P.69/2001; BOHNET, op. cit., ch. 85, pp. 219 et 220, Message du CPC, ad art. 257, p. 6961). La condition de l’urgence implique également que le lésé doit agir sans laisser s’écouler trop de temps avant de déposer sa requête; à défaut la requête pourra être déclarée tardive et être rejetée de ce fait (SCHLOSSER, in SIC! 2005, Zurich, p. 354).

Selon le Tribunal fédéral, l’urgence est une notion relative qui comporte des degrés et qui s’apprécie moins selon des critères objectifs qu’au regard des circonstances (TF, 4P.263/2004 du 1.2.2005 consid. 2.2). En principe, une requête de mesures provisionnelles sera rejetée s’il s’avère qu’une procédure ordinaire introduite à temps aurait abouti à un jugement au fond dans des délais équivalents (BOHNET, La procédure sommaire, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, 2010 n. 86 p. 220).

Le fait que le requérant tarde quelque peu à requérir les mesures provisionnelles n’est pas un indice d’absence d’urgence. Au contraire, le retard peut accentuer l’urgence, notamment lorsqu’il est la conséquence de pourparlers entre les parties ou de sondages effectués sur le marché par le requérant, ou encore lorsqu’il résulte du fait que l’ayant droit a attendu pour être certain que les agissements illicites déployaient des effets dommageables (TROLLER, op. cit., p. 423). Toutefois, la temporisation du requérant durant plusieurs mois à dater de la connaissance de l’atteinte ou du risque d’atteinte peut signifier qu’une protection n’est pas nécessaire, voire constituer un abus de droit (HOHL, op. cit., n. 1761 p. 323).

La notion de préjudice difficilement réparable comprend tout préjudice, de nature patrimoniale ou immatérielle. Cette condition est remplie même si le dommage peut être réparé en argent, s’il est difficile à évaluer ou à démontrer ou que la décision serait difficilement exécutée (Message du CPC ad art. 257, p. 6961).

En droit des marques ou en matière de concurrence déloyale, un risque de préjudice difficilement réparable est en principe admis dans la mesure où le dommage subi est en règle générale difficile à prouver (SCHLOSSER, op. cit., p. 346 et ss).

Enfin, la mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu’elle doit être adaptée aux circonstances de l’espèce et ne pas aller audelà de ce qu’exige le but poursuivi. Les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence. La mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message CPC ad art. 258, p. 6962). L’examen du droit et la pesée des intérêts en présence ne s’excluent pas : le juge doit pondérer le droit présumé du requérant à la mesure conservatoire avec les conséquences irréparables que celle-ci peut entraîner pour le défendeur (HOHL, op. cit., n. 1780, 1781 et réf. citées). La mesure d’exécution anticipée provisoire qui a, en pratique, un effet durable, voire définitif, et qui porte une atteinte particulièrement grave à la situation juridique du défendeur, doit être soumise à des conditions plus strictes (HOHL, op. cit., n. 1830 p. 334).

4.1 Selon l’art. 2 al. 3 LDA, les programmes d’ordinateurs (logiciels) sont également considérés comme des oeuvres. Le programme d’ordinateurs se présente comme un ensemble d’instructions pouvant, une fois transposées sur un support et sous une forme déchiffrable par machine, permettre à une machine capable de traiter des informations d’effectuer certaines tâches ou de montrer ou d’obtenir certains résultats. Le programme est composé du programme primaire ou source, également appelé code-source, à savoir la rédaction du programme dans l’une des langues de programmation (TROLLER, op. cit., p. 155).

Les logiciels englobent tous les processus complets rédigés dans une langue de programmation et servant à résoudre une tâche déterminée. La protection vaut tant pour le code-source que pour le code-objet du programme. Les principes et les idées qui sous-tendent les logiciels, en particulier les algorithmes et la logique du programme, ne font pas partie du domaine protégé (BARRELET/EGLOFF, Le nouveau droit d’auteur, Commentaire de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins, troisième édition, Berne, 2008, n. 24 ad art. 2 LDA, p. 21).

L’oeuvre, qu’elle soit fixée sur un support matériel ou non, est protégée par le droit d’auteur dès sa création (art. 29 al. 1 LDA).

Pour les logiciels, le degré d’individualité requis ne devra pas être trop élevé. Cela n’exclut toutefois pas qu’une certaine individualité soit nécessaire. Il faut que le logiciel soit bâti sur une structure unique et autonome, reconnaissable à travers toutes les variantes et combinaisons d’effets qu’elle permet de réaliser (TROLLER, op. cit., p. 157.). Le logiciel doit être nouveau, c’est-à-dire que, du point de vue des professionnels, il ne soit pas qualifié de banal (BARRELET/EGLOFF, op., cit., n. 25 ad art. 2 LDA, p. 22; FF 1989 III 508; NEFF, Urherberrechtlicher Schutz der Software, in : SIWR II/2 (Uhreberrecht im EDV-Bereich), Bâle 1998, p. 132). Il doit ainsi se différencier suffisamment d’autres logiciels déjà existants (NEFF, op. cit., p. 131). Toutefois, dans la mesure où la marge de création est conditionnée par le résultat que doit produire le logiciel, le degré d’individualité ne doit pas être fixé trop haut (NEFF, op. cit., p. 131). Ainsi, un logiciel pourra être protégé par le droit d’auteur sans qu’un degré trop élevé d’individualité soit requis mais, en contrepartie, seule la reprise in extenso d’un logiciel devrait être qualifiée de piraterie, toute création autonome simulant les effets d’un programme, s’inspirant du programme original mais s’en écartant sur quelques points, étant autorisée (DESSEMONTET, Le droit d’auteur, Lausanne, 1999, n. 144, p. 98).

L’auteur est la personne physique qui a créé l’oeuvre (art. 6 LDA). Une personne morale ne peut d’emblée acquérir les droits d’auteur (BARRELET/EGLOFF, op. cit., n. 2 ad art. 6 LDA, p. 34); elle pourra en revanche les acquérir par un transfert ultérieur (DESSEMONTET, op. cit., n. 308, p. 233).

Toutefois, en matière de logiciel, une réglementation spéciale est prévue. L’employeur est le seul autorisé à exercer les droits exclusifs d’utilisation du logiciel créé par le travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles, en vertu de ce qui pourrait être qualifié de cession légale des droits (art. 17 LDA; DESSEMONTET, op. cit., n. 315, p. 236). Si plusieurs personnes participent à la création du programme, ce qui pourrait bien être le cas le plus fréquent, elles sont alors coauteurs. L’art. 17 LDA ne s’applique que si le logiciel est créé dans le cadre d’un rapport de travail, au sens des art. 319ss CO (BARRELET/EGLOFF, op. cit., n. 2 et 3 ad art. 17 LDA, p. 111).

L’auteur d’un logiciel dispose des même droits que les auteurs d’oeuvres littéraires ou artistiques, sous réserve de dispositions spéciales de la LDA (art 10 al. 3, 13 al. 4, 19 al. 4 LDA, par exemple).

En application de l’art. 10 al. 1 LDA, l’auteur a le droit exclusif de décider si, quand et de quelle manière son oeuvre sera utilisée. Ce droit recouvre toutes les modalités d’exploitation de l’oeuvre (DESSEMONTET, op. cit., n. 219, p. 167). L’auteur a ainsi, en particulier, le droit de confectionner des exemplaires de l’oeuvre en la reproduisant (art. 10 al. 2 lit. a LDA) ou de distribuer des exemplaires de cette oeuvre en les proposant au public ou, de quelque autre manière, de les mettre en circulation (art. 10 al. 2 lit. b LDA).

La LDA accorde en outre à l’auteur, selon l’art. 11 al. 1 LDA, le droit exclusif de décider de quelle manière l’oeuvre peut être modifiée, ou, quand et de quelle manière l’oeuvre peut être utilisée pour la création d’une oeuvre dérivée. Le terme d’oeuvre dérivée est défini à l’art. 3 LDA comme toute création de l’esprit qui a un caractère individuel, mais qui a été conçue à partir d’une ou de plusieurs œuvres préexistantes, reconnaissables dans leur caractère individuel. Les oeuvres dérivées sont protégées par le droit d’auteur, mais elles ne pourront être exploitées qu’avec le consentement de l’auteur de l’oeuvre de base (DESSEMONTET, op. cit., n. 395, p. 290). Par ailleurs, même si un tiers est autorisé, par un contrat ou par la loi, à modifier l’oeuvre ou à l’utiliser pour créer une oeuvre dérivée, l’auteur peut s’opposer à toute altération de l’oeuvre portant atteinte à sa personnalité (art. 11 al. 2 LDA). Si les éléments repris de la première oeuvre ne concernent que des concepts libres, il ne s’agit pas d’une oeuvre dérivée dépendante (TROLLER, op. cit., p. 260).

4.2 Lorsque plusieurs personnes ont concouru en qualités d’auteurs à la création d’une oeuvre, le droit d’auteur leur appartient en commun (art. 7 al. 1 LDA). Il doit s’agir d’une collaboration créatrice. Celui qui exécute simplement les instructions d’un autre, sans qu’une marge de manoeuvre ne soit laissée à sa propre créativité, n’est pas un coauteur, mais un auxiliaire, et n’acquiert aucun droit d’auteur. C’est le travail créateur commun sur une oeuvre commune et unique durant une période convenue qui est déterminant (BARRELET/EGLOFF, op. cit., n. 4 ad art. 7 LDA, p. 37).

Sauf convention contraire, les coauteurs ne peuvent utiliser l’oeuvre que d’un commun accord; aucun d’eux ne peut refuser son accord pour des motifs contraires aux règles de la bonne foi (art. 7 al. 2 LDA). Aucun d’entre eux ne peut, sous réserve de l’al. 4, disposer de sa part de façon indépendante (ATF 129 III 715; BARRELET/EGLOFF, op. cit., n. 8 ad art. 7 LDA, p. 39).

4.3 La société simple est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d’unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d’atteindre un but commun (art. 530 al. 1 CO).

Il s’agit d’un contrat de durée dont les éléments caractéristiques sont, d’une part, un apport, c’est-à-dire la prestation que chaque associé doit faire au profit de la société, d’autre part, un but commun qui rassemble les efforts des associés. L’apport, au sens de l’art. 531 CO, peut consister, notamment, dans l’activité non rémunérée d’un associé ou dans la cession de l’usage d’une chose dont l’associé reste propriétaire. Quant au but commun, autrement dit l'“animus societatis“, il suppose la volonté des associés de mettre en commun des biens, ressources ou activités en vue d’atteindre un objectif déterminé, d’exercer une influence sur les décisions et de partager non seulement les risques et les profits, mais surtout la substance même de l’entreprise; cette volonté résulte de l’ensemble des circonstances et non pas de la présence ou de l’absence de l’un ou l’autre des éléments (arrêt du Tribunal fédéral 4C.98/1999 consid. 3a; CHAIX, Commentaire romand CO II, 2008, n. 1 et ss ad art. 530 CO).

Le contrat de société simple obéit aux règles générales sur la conclusion des contrats (art. 1 ss CO; TERCIER/FAVRE/CONUS, Les contrats spéciaux, 4e éd., 2009, n. 7528). Il ne requiert, pour sa validité, l’observation d’aucune forme spéciale; il peut donc se créer par actes concluants, voire sans que les parties en aient même conscience (ATF 130 II 530, consid. 6.4.4; 124 III 363 consid. II/2a = SJ 1999 I 38; arrêt du Tribunal fédéral 4A_21/2011, du 4 avril 2011, consid. 3.1). Les règles d’interprétation déduites de l’art. 18 CO s’appliquent également aux contrats conclus par actes concluants, en ce sens qu’il s’agit d’abord de rechercher la volonté réelle des parties puis, à défaut, d’interpréter leurs comportements selon le principe de la confiance (arrêt du Tribunal fédéral 4C.54/2001 consid. 2b, in SJ 2002 I 557; 4A_21/2011 consid. 3.1; WINIGER, Commentaire romand, CO I, 2003, n. 48 ad art. 18 CO).

Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO).

4.4 Il convient en premier lieu d’examiner la vraisemblance de la titularité des droits d’auteur sur le logiciel dont se prévaut la requérante. Les parties s’accordent pour dire qu’elles n’étaient pas liées par un contrat de travail lors de la création du code-source et du logiciel litigieux. Elles n’ont pas conclu de contrat écrit, définissant les termes de leur relation. Le cité fait valoir sa position d’associé dans la société, contestée par la requérante.

Le cité n’est pas inscrit au Registre du commerce. La requérante a admis que le cité a collaboré à l’élaboration du logiciel; à son sens, ce travail s’est limité au marketing, le développement du code-source et du logiciel ayant été fait par des employés de la société. Pour sa part, le cité ne conteste pas ce fait; il soutient toutefois que les précédents codes sources qu’il avait lui-même créés, ont été utilisés pour élaborer ce nouveau logiciel. Il estime également être titulaire de la moitié des droits d’auteur, compte tenu des efforts fournis dans la réalisation du projet.

Il apparaît vraisemblable que les parties ont été liées par un rapport de société simple concernant l’élaboration du logiciel. Dès lors, elles sont dans ce cadre coauteurs et donc toutes deux titulaires des droits d’auteur.

La discussion ne s’arrête toutefois pas là. En effet, l’un des coauteurs ne peut pas utiliser seul le logiciel. La requérante soutient que le cité utilise et commercialise actuellement le code-source nommé „A______ publisher“, sous la dénomination „FinalApp“. Le cité a certes admis être en possession du code-source litigieux. Pour étayer sa position, la requérante indique que le cité ne pouvait pas développer un nouveau code-source en un mois. Toutefois, cette simple allégation, laquelle n’est pas rendue vraisemblable par d’autres moyens de preuve, ne peut être retenue. En effet, la requérante ne rend pas vraisemblable que le codesource du logiciel que le cité commercialise actuellement serait identique à celui développé en collaboration avec le cité, étant rappelé que des modifications ou des ajouts de peu d’importance permettent de protéger l’auteur du logiciel ainsi créé. La requérante n’a également pas allégué, ni rendu vraisemblable, que le logiciel „A______ publisher“ aurait été utilisé pour créer une nouvelle application.

Par ailleurs, au regard du principe de proportionnalité, la mesure conservatoire pourrait avoir des conséquences irréparables pour le cité, alors même qu’il n’est pas rendu vraisemblable que le code-source serait utilisé par le cité dans le logiciel qu’il commercialise actuellement. De plus, la requérante n’a pas allégué qu’elle commercialiserait ou serait sur le point de commercialiser le logiciel „A______ publisher“. Au contraire, elle a indiqué avoir licencié son personnel en février 2012, en raison de difficultés financières.

La requérante n’a pas rendu vraisemblable de préjudice difficilement réparable.

4.5 Ainsi, les conditions cumulatives essentielles requises pour ordonner une mesure provisionnelle en application de la LDA ne sont pas réalisées, de sorte que la requête doit être rejetée sous cet angle.

Reste à examiner les dispositions de la LCD. La requérante ne se prévaut d’aucune disposition particulière, de sorte que les principales normes de la LCD seront examinées ci-après.

4.6. La LCD vise à protéger les intérêts des participants sur le marché, soit les producteurs, les commerçants et les consommateurs, ainsi que l’intérêt de la collectivité à la sauvegarde d’une concurrence efficace (TROLLER, Manuel du droit suisse des biens immatériels, 2ème éd., Bâle 1996, t. II, p. 903). La LCD vise à garantir une concurrence loyale et non faussée, chaque participant devant dès lors se comporter conformément aux règles de la bonne foi, sans tromper la confiance que les autres participants sur le marché pouvaient raisonnablement mettre en lui (TROLLER, op. cit., t. II, p. 911).

Selon l’approche fonctionnelle adoptée par la LCD, la distinction entre concurrence loyale et concurrence déloyale doit se faire en tenant compte des résultats qu’on est en droit d’escompter dans un système où la concurrence fonctionne bien. Ainsi, un acte de concurrence devient déloyal lorsqu’il met en péril la concurrence en tant que telle ou lorsqu’il déjoue les résultats attendus par ladite concurrence (Message à l’appui d’une loi fédérale sur la concurrence déloyale du 18 mai 1983, FF 1983 II, p. 1068 et les références doctrinales).

L’art. 2 LCD pose le principe général selon lequel, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients.

Par ailleurs, à côté de cette clause générale, les art. 3 à 8 LCD énumèrent différents comportements qui sont contraires à la bonne foi et donc déloyaux, pour autant toutefois, comme le précise l’art. 2 LCD, qu’ils influent sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients (ATF 126 III 198, consid. 2 c, p. 202).

Conformément à sa note marginale, l’art. 5 LCD concerne l’exploitation d’une prestation d’autrui. La jurisprudence entend par prestation le résultat d’un travail, soit le produit d’un effort intellectuel et/ou matériel qui n’est pas protégé en tant que tel en dehors du champ d’application de la législation spéciale sur les biens immatériels (ATF 122 III 469, SJ 1997 129; ATF 117 II 199). Il convient à ce propos de rappeler qu’un comportement autorisé du point de vue des lois de propriété intellectuelle n’enfreint en principe pas les dispositions de la LCD, sauf si ce comportement est accompagné de circonstances particulières qui le rend déloyal (ATF 116 II 365, consid. 3b, p. 368-369). Il n’est ainsi pas possible de combler les lacunes des lois de propriété intellectuelle au moyen de la LCD.

La prestation doit se présenter sous une forme matérielle, comme un objet ou, à tout le moins, perceptible d’un point de vue physique, tel un logiciel sur un support de données (BAUDENBACHER, Lauterkeitsrecht, Kommentar zum Gesetz gegen Eden unlauteren Wettbewerb (UWG), Bâle, 2001, n. 27 ad art. 5 LCD). En revanche, une simple idée peut être exploitée par un tiers, même si elle est fixée par la suite (Message précité, FF 1983 II p. 1103). Dans le domaine extracontractuel, l’art. 5 LCD vise le comportement des „pirates“, qui, par exemple, reproduisent des enregistrements ou copient des livres dont le contenu n’est pas protégé par la législation sur les droits d’auteur (ATF 122 III 469, SJ 1997 129).

Quant au terme „exploitation“, il doit être compris comme toute utilisation de la prestation à des fins commerciales ou professionnelles (BAUDENBACHER, op. cit., n. 57 ad art. 5 LCD). Selon l’art. 5 lit. a LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, exploite de façon indue le résultat d’un travail qui lui a été confié, par exemple des offres, des calculs ou des plans.

Cet article vise toute exploitation ou application industrielle ou commerciale du résultat d’un travail dont une personne a eu connaissance avec le consentement de l’ayant droit dans un but défini (TROLLER, op. cit., t. II, p. 974). Le Message du Conseil fédéral précise que „la lettre a englobe les situations dans lesquelles une personne est entrée en possession du résultat du travail d’autrui après accord mutuel. A ce sujet, il ne faut pas donner trop d’importance à la notion de „confié“ (Message à l’appui de la loi fédérale sur la concurrence déloyale du 18 mai 1983, FF 1983 II p. 1103).

La jurisprudence du Tribunal fédéral stipule qu’il faut considérer comme confiée, toute connaissance confidentielle qu’un industriel ou commerçant communique à un tiers en vue de réaliser un travail pour lui. Ainsi a été jugé déloyal le fait, pour un concurrent, de commander des échantillons d’étoffes dans l’intention de les imiter (ATF 90 II 51). Il en va de même de l’entrepreneur qui doit exécuter pour le compte du maître un dispositif selon une idée technique non brevetée, mais restée secrète, et qui exploite cette idée dans son propre intérêt (ATF 93 II 272, JdT 1968 I 130; ATF 77 II 263, JdT 1952 I 200).

Selon l’art. 6 LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, exploite ou divulgue des secrets de fabrication ou d’affaires qu’il a surpris ou dont il a eu indûment connaissance d’une autre manière.

L’art. 6 LCD exige en premier lieu l’existence et la connaissance d’un secret de fabrication ou d’affaires. Il faut entendre par secret de fabrication tout savoir technique (comme des plans de construction ou le résultat de recherches) alors que par secret d’affaires, il faut entendre tout fait qui est d’importance pour une entreprise quant à son organisation et son activité commerciale (tel que les sources d’approvisionnement ou le cercle des clients). L’art. 6 LCD exige ensuite l’exploitation ou la divulgation de ce secret, soit son utilisation commerciale ou sa remise à un tiers non autorisé et qui n’est pas lié à l’ayant droit par un engagement spécial de secret. L’art. 6 LCD exige finalement que le secret de fabrication ou d’affaires ait été surpris, ou que sa prise de connaissance se soit produite de manière indue. La connaissance d’un secret est indue dès lors que la captation a lieu contre la volonté de l’ayant droit au secret, par vol ou violation de domicile, par exemple (PEDRAZZINI, Unlauterer Wettbewerb UWG, 2ème édition, Berne, 2002, n. 10.09, p. 204). Celui qui acquiert de façon licite la connaissance d’un secret, notamment parce que le secret lui a été confié lors de l’exécution d’un contrat, ne le reçoit pas de manière indue et sa divulgation et son exploitation en violation d’engagements contractuels ne tombe pas sous le coup de l’art. 6 LCD; elle peut en revanche, le cas échéant, engager sa responsabilité contractuelle selon les art. 97 ss CO, ou pénale selon l’art. 162 CP (BAUDENBACHER, op. cit., n. 59 ad art. 6 LCD, TROLLER, op. cit., t. II, p. 972).

L’art. 7 LCD prévoit que celui qui notamment n’observe pas les conditions de travail légales ou contractuelles qui sont également imposées à la concurrence ou qui sont conformes aux usages professionnels ou locaux, agit de façon déloyale.

4.7 En l’occurrence, la requérante ne rend pas vraisemblable que le cité exploiterait de manière indue le résultat d’un travail qui lui aurait été confié, au sens de l’art. 5 lit. a LCD.

Une éventuelle violation de l’art. 6 LCD peut d’emblée être écartée, dès lors que le cité a eu accès au code-source en accord avec la requérante, de sorte que sa connaissance du secret d’affaires ou de fabrication n’a pas été acquise de manière indue.

La requérante n’a également pas rendu vraisemblable que le cité exploiterait de façon indue le code-source litigieux.

Les art. 7 et 8 LCD ne peuvent pas entrer en considération, dès lors que la requérante ne se prévaut pas d’inobservation des conditions de travail ou d’utilisation des conditions générales préalablement formulées.

Comme relevé sous ch. 5.4, la requérante n’a pas rendu vraisemblable un quelconque préjudice difficilement réparable.

Deux des conditions cumulatives de la mesure provisionnelle n’étant pas remplies, la requête doit également être rejetée sous l’angle de la LCD.

4.8 La requérante sera en conséquence déboutée de ses conclusions. […]

5. La requérante, qui succombe, supportera les frais de la procédure […]

Quelle: http://ge.ch/justice/bienvenue-sur-les-pages-de-la-jurisprudence-genevoise
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